VOUS ÊTES ICI
Ici on a les horizons qu’on peut
Qu’importe le bleu quand ce n’est pas celui que l’on veut
Le bleu que l’on veut, il faut souvent le rêver fort
Et souvent même le rêver n’y suffit pas, il reste là-bas, et nous ici cloués au sable
Tandis que les autres crient, tandis que les autres rient
Quand on habite sur une île, le bleu est autour, tout autour
À portée de main
Alors c’est pour ça, qu’ils ont des chiens
Le nôtre était habitué à ramener les balles, les leurs, dressés à nous empêcher le large
Clos, un monde bleu, un monde beau, mais un monde clos
Pas besoin de mur. Parfois, la géographie suffit
On savait que là-bas existait, on savait que ceux qui avaient réussi à y aller y avaient trouvé leurs places. On savait qu’ils y étaient bien accueillis. Sûrement, vu qu’ils ne sont jamais revenus
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Attendez, excusez,
Je parle de choses que je ne connais pas, moi qui vous parle je ne suis jamais allé là-bas
Je parle de choses qui existent pourtant, je parle comme si je connaissais tout cela
Je l’ai rêvé moi, alors je connais
Je sais ma moyenne sur une saison, j’ai fait déjà mille fois les mêmes gestes
Je sais déjà où est ma place
Pas sur le banc non, pas sur le banc, sur le sable, sur la terre battue, sur le ring, sur l’herbe avec les autres.
Tous les autres
Pour y aller ça, je sais pas
Mais je sais qu’une fois passée, la balle ira là où je l’ai décidé
Mon poing ne ratera pas sa cible
La trajectoire sera précise
Pas plus qu’un rectangle
Pas besoin de lignes de fuites
Pas besoin d’ailleurs
Donnez-moi un rectangle
Comptez les pas
Donnez-moi une fenêtre, ne l’ouvrez même pas
Une balle et laissez-moi tirer
Une balle et laissez-moi lancer
Vous, comptez. Vous, balisez
Vous, dessinez un rectangle de la taille que vous voulez
Inutile d’élargir mon champ de vision, ne vous embêtez pas avec ça
Je ne connais rien du monde et je ne veux pas d’horizon
J’en ai eu, j’en ai eu. Je n’en veux plus
L’illusion d’un ailleurs tient toujours à peine, dans la main de sa grande sœur, la désillusion
C’est ça l’horizon vu d’ici
On ne voit rien d’ici, juste le large depuis la plage, un truc vague, l’horizon
Chaque fois que j’en ai eu un il me déconcentrait, altérait la trajectoire de mes balles
C’est peut-être parce que je ne sais pas nager que j’ai toujours regardé l’horizon et la mer à ses pieds comme un cercueil géant
Mouillé, trempé, un cercueil inondé
Et surtout que je l’ai toujours détesté
On nous a déjà proposé de traverser
Enfin je dis nous mais il n’y avait qu’une seule place
Qu’importe le nombre de joueurs, il n’y a toujours qu’une seule balle
Comme je suis le plus vieux et lui le plus doué, j’ai voulu la lui laisser
Mais ils sont partis sans lui, sans moi, sans nous, sans personne car ceux qui nous poursuivaient ce jour-là ont gagné. Il y en a qui passe des fois
Nous, ce sera pour une autre fois, peut-être
D’autres qui crèvent, soit ici soit là-bas soit entre les deux
On s’en fout de tous ceux-là
Eux ce qu’ils cherchent et les intéressent c’est les autres, tous les autres qui ratent et restent là
C’est de ceux-là que je parle, je parle des perdants
Ils savent déjà quoi faire de ceux-là
Tous ceux qui leurs restent sur les bras, vous croyez quoi ? Ils savent déjà quoi faire de tous ceux qui ont passé leur temps à irriguer leurs muscles
Le sang, voilà ce qu’ils veulent, leur sang. Ils n’en ont rien à foutre de leurs exploits
Si tu ne réussis pas ne t’inquiète pas, tu ne t’es pas affuté pour rien
Tu sais ici partout il y a besoin de bras, de mains, de poings, de bêtes de somme toutes en muscles mal accueillies et mal nourries
Leurs places existent là-bas comme ici
Pas sur le banc non, pas sur le banc
Mais pas sur le ring non plus
Tu disais aimer frapper, alors frappe sur tout ce qui se frappe dans les rues, le soir venu
Si tu n’aimes pas te salir les mains oublie le sang, les coups tordus et retourne au sable, tu disais aimer le sable, la terre
Alors au pire, au mieux, si tu passes tu prendras la pelle
Enterre d’abord ton histoire
Prends la pioche
Lorsque tu creuseras évite les racines, rien de plus douloureux que de taper sur une racine. Douloureux d’encaisser le rebond, ça fait mal le rebond
Coupe
Si tu ne sais pas faire, les autres te montreront
Coupe
Mais ne tape pas. Pas sur le banc, non, pas sur le banc
Vous savez, je parle d’enfants qui marchent sur des routes bordées de gouffres, prêts à s’accrocher à n’importe quoi, pour ne pas tomber
Se tenir debout, c’est déjà exister
Il n’y a pas que ta mère, ton père et ton coach qui gardent un œil sur toi, arrête de regarder le ciel, tu es né là où Dieu ne regarde pas
Tombe, rate, perds, échoue
Il existe pas très loin d’ici des gens riches qui te relèveront, te soigneront, t’aideront même
Finalement, les gagnants ne les intéressent pas tant que ça, à peine une poignée pour remplir une équipe
Eux cherchent les perdants, ceux qui restent par terre
Ils ressemblent un peu aux ogres du livre de ma mère
Ils ressemblent beaucoup à la mafia des histoires de mon père
Ceux-là te trouveront une place
Ils savent déjà quoi faire de toi, pas de soucis pour ça
Ils vivent tous aux mêmes endroits, à peine un peu plus loin que les endroits où poussent les gens comme nous
Eux savent passer. Eux savent venir.
Eux savent où nous trouver. Eux marchent, volent, traversent les frontières, passent toutes les portes, dans les deux sens
Eux peuvent aller partout
C’est toujours dans les mêmes champs qu’on nous cueille
C’est toujours sur les mêmes plages qu’on nous recueille
Ils n’ont qu’à se baisser, nous sommes des milliers
Nous sommes des milliers
Si ce monde est un stade, alors eux vivent dans les gradins
Ils voient tout, depuis les gradins, ils vivent dans les gradins de ce monde
Des gradins on a toujours une vue d’ensemble, une vue sur les deux camps
La voilà la preuve, la preuve que de là-bas, les frontières n’existent pas
Alors que pour nous oui, il n’y aura toujours qu’un sens, une seule direction
Un seul but, un seul rectangle où lancer ma balle
En face
Je regarde en face
Devant
Les frontières ne sont pas toujours en face de nous
Moi qui vous parle j’ai vu l’invisible, vous ne me croyez pas ?
J’ai vu des barrières plus hautes que des montagnes
Des frontières infranchissables que seuls des géants pouvaient enjamber
J’ai vu une femme partir tôt, depuis ma fenêtre, avec ses deux fils dans les bras, je savais que le soir elle ne rentrerait pas, vous savez pas ?
Vous savez, j’ai essayé moi tout seul, j’ai essayé
J’ai échoué
Elles sont souvent dans nos têtes. Tellement proches qu’on ne les voit pas
Un jour je te montrerai mon école et peut-être que tu comprendras
Et encore, mon père aimait lire
Leurs pères à eux aimaient les armes, et vivent encore
Alors il faut trouver où se façonner un corps, se fabriquer un cœur en pierre pour survivre
Et prendre le risque de se tanner le cuir, de s’endurcir jusqu’à devenir un mur
Son propre mur, invisible et impossible à traverser
Le plus difficile à escalader, coincé entre la plage et les barres
Son propre mur à abattre, ça prend du temps
Moi qui vous parle j’ai échoué
Parfois, il faut simplement marcher
Parfois, il faut courir
Parfois, il faut nager
Parfois, il faut tuer
Parfois, à peine un ticket
Que l’on ne payera pas
Que l’on ne validera pas
Ou un ticket beaucoup plus cher, pas en papier et payé par une ou plusieurs vies essorées par le labeur
Un chiffon sur le front pour ne pas se brûler les yeux avec la transpiration
Un aller simple payé par les salaires médiocres de nos mères, de nos pères et de tous ceux qui croient que la moindre goutte de sueur fait les grandes rivières
Vous comprenez ?
Sans garantie d’arriver en vie là-bas
Vous savez ça ?
Et admettons que l’on passe
Si on ne sait pas pourquoi on veut là-bas, ça ne marche pas
Vous comprenez ?
La victoire sans combat, ça ne marche pas
le combat sans pourquoi, ça ne marche pas, vous savez ça ?
Alors quoi ? Je n’écoute plus personne
Alors que moi je sais exactement ce qu’il y a là-bas
Et c’est précisément ça que je vois, que ça
Un but, donnez-moi un but
Un rectangle
Donnez-moi un rectangle
Et la foule criera mon nom
Et leurs enfants porteront dans leurs dos mon numéro
Ma poitrine ne me fera plus mal
Et ceux qui m’ont réparé auront depuis rejoint ceux qui m’ont laissé là gisant dans une mare de souvenirs
Tous devant le poste de télévision à regarder mes exploits
À commenter ma moyenne
À attendre mes apparitions
La moindre
Personne ne court comme moi, seulement armé de courage, bave aux lèvres et puant
Mais sans haine non, mordu par la rage oui
Exactement tout ce qui manquait à mes poursuivants armés jusqu’aux dents
Ils se sont trompés, même quand ils riaient devant mon corps allongé
Car si j’ai pu les oublier c’est que je suis vivant, en parfait état de marche, en perpétuel mouvement. La haine leur sert à nous traquer, à nous attraper, à apprendre à utiliser une arme
Parfois contre un voisin, un ami, une femme. Entend les rire. Ils se vantent de ne jamais rater la cible, mais ils ne savent tirer qu’à bout portant
La haine, toi n’utilise jamais ça
Maintenant que tu sais marcher ne l’utilise pas pour courir, jamais
La haine, ta haine, transforme-la en rage
La rage nous permet à nous de construire nos propres armes, d’affuter nos corps, d’irriguer nos muscles, de trouver des appuis
De trouver un souffle
Toi, ne confond jamais rage et haine
Distingue ce qui te tiens en vie de ce qui n’est fait que pour empêcher la vie
Tu as compris ? oui ? alors dis-le-moi
Je ne confondrai pas
Répète-le-moi, encore une fois
Non coach, je ne confondrai pas
Rien n’y personne n’empêchera jamais mes yeux de voir au-delà
Quand bien même entravez mon corps par des murs, grillages, plages, plafonds, l’acculer, le laisser mordre par les chiens
Quand bien même gardez mon esprit dans l’ignorance, mes yeux, eux, n’arrêteront jamais de regarder ailleurs
Car il y a un ailleurs
Et de partout je le vois
Et de partout je le sens, tout ignorant que je suis
Et de partout je l’entends
J’entends une foule immense crier mon nom et à travers mon nom ceux des miens
Tous les miens que j’ai caché dans ma tête pendant que je faisais ce que vous appelez un voyage. Donnez-moi une mer à traverser et je mordrai dedans à défaut de nager
Je la mordrai au sang plus profond que vos chiens ne m’avaient mordu
Donnez-moi un océan et je le dévorerai avec les dents que vos bâtons ont épargnées
Je ne sais pas nager
Donnez-moi une terre à traverser et je m’élancerai à défaut de marcher
Oui je savais marcher, oubliez ce corps à la poitrine grande ouverte qui rampe et se redresse
Je ne suis qu’une balle, une balle bien frappée en dehors du stade, par-delà la palissade
Une balle parfaitement lancée dans un coin
Pas une balle hors-jeu, ramenée par un chien
Je suis un coup gagnant
Quand la balle part dans le public, le public ne la rend pas là-bas
Sûrement parce que les chiens n’ont pas le droit de rentrer dans les stades là-bas
Gardez-moi
Ne me rendez pas
Je ne sais pas faire grand-chose, comme je suis costaud, c’est moi qui ramenait l’eau
C’est moi qui défendait mon frère à l’école
Je sais courir, lancer, frapper, courir, lancer, frapper, courir, lancer, frapper
Aussi fort que mes muscles le permettent, personne ici ne court comme moi. Gardez-moi. Pour ça
Vous comprenez ? Vous entendez ? Vous savez pas ?
Vous savez, j’étais l’espoir là-bas
L’espoir de quelques-uns certes mais l’espoir
Mes muscles, mes bras ne servaient pas qu’à moi
Ils ne sont pas que pour les foules de riches qui laissent leurs chiens chez eux criant mon nom dans des stades
Mon bras lançait pour d’autres
Mes poings frappaient pour d’autres
Mes jambes dansaient pour d’autres
Beaucoup d’autres
Mes mains ne tiennent rien si ce qu’elles tiennent ne rapportent rien aux miens
À tous les miens
Vous entendez ce que je dis ? oui ? non ? qu’importe, je parle de ceux que l’on ne regarde pas
Je parle des perdants. Je parle de ce qui ne se voit pas, l’invisible
Je viens d’un pays où les faibles ont gagné. Je m’en suis éloigné pour essayer de l’oublier
Ne vous demandez pas où il est, quel quartier
C’est tellement loin que cela ne vous dira rien
C’est tellement près qu’il vaut mieux regarder ses pieds
Oublier, c’est déjà mieux que fuir
Vous trouvez pas ?
La peur d’y retourner, ça ne s’enterre pas à la pelle
La peur d’être retrouvé, vous connaissez ? Je viens d’un pays où la police surveille autant le public que les joueurs
Où les chiens sont partout
Dans les rues, aux stades, sur les plages
Je viens d’un pays où les faibles ont gagné aidés par des pays riches où des gens vivent et laissent leurs chiens chez eux avant d’aller au stade
Tellement faibles que forcément ils avaient besoin d’armes, forcément ils durent affamer le peuple
La force de mes frères, de nos pères leur a fait tellement peur qu’ils sont allés chercher ailleurs de quoi nous faire taire, de quoi nous museler, de quoi empêcher nos muscles de porter haut notre destinée
C’est dur à comprendre ça ?
C’est peut-être dur à comprendre mais nous, nous n’avons besoin que de mains pour nous aider à passer
Nous, enfants de quoi ? Héritiers de ça
De ça ?
Entendez ça : pas besoin d’armes
Eux ont besoin d’armes pour s’aider
Eux ont besoin de nous écraser
Riches ? Ils ne le sont même pas, à peine plus d’eau que moi
Mais surtout des armes, montrant leur faiblesse
Des sourires sadiques, montrant notre défaite
Mon frère, nous sommes-nous un jour battus ?
N’avons-nous pas toujours vécu la tête basse ?
Finalement, je ne sais plus
Ai-je un jour regardé autre chose que ce rectangle où lancer ma balle ?
Ce mur où écraser mes poings ?
Je ne sais plus
Ai-je cru un jour à un meilleur ?
Radieux ?
Pour ici ?
Je ne sais plus
Je sais qu’on peut toujours faire autrement mais y a-t-il autre chose à faire ?
Quand vient le soir, la mer vient inonder nos plages
Nous n’avons plus rien, il ne nous reste rien, même plus le sable. Alors quoi ? À part escalader les toits des garages ? Sur la pointe des pieds pour éviter le bruit des graviers
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Comme le monde dort, ne rions pas trop fort
On risquerait de nous trouver
Allongés face au ciel
À regarder les étoiles
À parler à voix basse
Regarde, autant de ballons quillés par-delà les arbres, par-delà les tours
Autant de balles frappées qui ne reviendront pas
Autant de spots allumés qui ne s’éteindront jamais
Tous ces feux pour nous
Toutes ces lumières pour nous
Notre trésor à nous. Rien que pour nous
Tous ces sourires qui brillent, inaccessibles, par-delà la palissade
Les visages de nos frères passés de l’autre côté et nous ici, à les regarder, viens, on leur fait signe. Nos héros, d’ici, on vous regarde briller
On vous imite, du mieux que l’on peut, on marche sur vos traces avant que la mer ne les efface
Vous nous voyez ?
Vous vous rappelez ?
Vous êtes-vous vous déjà retournés ?
Moi, je ne sais plus
Je sais que tout ce qui fait qu’ici ne se relèvera jamais vient de là-bas
Et que là-bas, tous, tous les riches qui ont armé les faibles d’ici pour nous garder crevant sur nos plages, crieront mon nom. Tous porteront mon nom et mon numéro dans leurs dos
Mais riches nous le sommes, nous l’avons toujours été
Plus qu’eux
De nos muscles
De nos sangs
De nos élans
De nos mains
De nos rêves
Jusqu’à nos pieds, jusqu’à la terre sur laquelle se posent nos pieds. Et même en dessous. Surtout en dessous, en fait
Nous savons que nous marchons et saignons sur de l’or
De l’or solide, de l’or liquide, de l’or qui se mange, tout sorte d’or
Nous marchons sur de quoi abreuver vos pays tout entier de tout ce qui vous manque et vous en mettre plein le râble, plein la panse
Riches jusqu’aux entrailles de nos terres
Riches sous nous, même, surtout
Notre terre, notre pire malédiction
Une terre trop irriguée, trop riche de tout
Cela nous faisait rire à nous, mais pas à la mère qui nous portait à bout de bras
Ma mère ne riait pas avec ça, un jour je te montrerai une photo d’elle, tu verras, elle ne sourit même pas
Aujourd’hui je sais pourquoi
Peut-être qu’elle savait ce qu’il y avait sous nos stades, nos villages, nos villes de fortune
Peut-être qu’elle savait ce qui coulait et courait sous terre, dans nos veines, le sang
Mais quoi de plus précieux que le sang ? Caché, terrifié, attendant le puissant pour être exploité
Se faire saigner avec le sourire
Se faire dépouiller et dire merci
Voilà ce que l’on a appris
De force, évidement
À coup de crosse, évidement
De la bouche, des mains et des bras de gens vivant ici, évidement
À peine plus riche que nous
À peine plus d’eau que nous
Tout ce qui coule et se terre là-dessous ne nous unira jamais
Diviser et emprisonner
Donner pour enchainer
Prendre et empoisonner
Piller et humilier
Nous avons perdu plus que notre or, nous avons perdu plus que notre âme
Nous avons perdu plus que notre sang
Regarde bien cet or, regarde ces diamants, regarde ces rivières, baisse-toi, ramasse
Regarde ce sang, regarde ces muscles
egarde ces corps courbant l’échine dans la boue, dans la pierre, dans le sable extraire tout ce qui peut s’extraire
Et donne-les, avec le sourire, ça t’évitera bien des souffrances
Regarde ton père remercier la main qui le nourrit
Regarde-le, regarde surtout comme il ne regarde que celle-là, il n’est pas aveugle, il regarde juste celle qui l’a en face de lui
Ici, on a les horizons qu’on peut
Pas un regard pour l’autre main, celle qui le tient en laisse, celle qui le tient en joue, celle qui lui empêchera l’ailleurs
Celle qui le tiendra ici
Regarde le choisir de ne pas voir et ne le juge pas
Regarde le t’éviter ainsi de creuser à ton tour
À toi
Toi, cours sur cette terre
Va aussi vite que tes muscles le permettent
Va aussi loin que tes yeux voient
Traverse tout ce qui existe de grillages, de mers, de terres. Traverse l’invisible
L’invisible, c’est peut-être l’ignorance ? Et surtout écoute, écoute juste ça
Pour l’instant, ne te retourne pas
Dis-le-moi : Non mère
Je ne me retournerai pas
Répète-le, encore une fois
Non père
Je ne me retournerai pas
Qu’est ce tu fais par terre ?
Relève-toi
Ce n’est pas cassé, respire, garde les yeux ouverts
Continue de bouger, ne t’assois pas, n’essaye pas de courir
Marche, n’arrête pas de bouger, ne regarde pas ton torse, ne regarde pas tes pieds
Redresse-toi, regarde-le à lui, regarde-les à tous, ils sont comme toi, deux bras deux jambes
Arrête de souffler fort, respire, calmement, doucement
Appuie-toi si il faut mais ne les écoute pas
Reste concentré, dans quelques minutes ce sera terminé
Redresse-toi, tu y es presque, ne pense pas, on fera les comptes après, ne t’occupe pas de ça
Nous étions deux
Je veux dire je travaille pour cent, mille, nous sommes des milliers
Mais nous étions deux à courir
Un seul a réussi à sauter et ne vous demandez pas lequel des deux
Quelle importance, un raconte, un lance
Applaudissez, criez, n’oubliez pas où vous vous êtes garé
Un est tombé, un a réussi
Les deux se sont fait mordre, les deux ont guéri
Un est tombé, un est resté, un a marqué et les riches se sont levés
Une balle est partie dans le public et n’est jamais revenue
Nos poursuivants se sont trompés
Car si je raconte cette histoire c’est que les deux sont vivants
Les deux sont riches de courage
Leurs pas se sont transformés en élan
Ils avaleront terres et océans comme deux géants
Leur monde est trop petit
C’est pour ça que je dis qu’il leur faudrait un stade à leur taille
C’est écrit par une main balayant l’air, Fouillant le vide
Le vide ce n’est pas le néant
Car le néant n’existe pas ici, ce monde est trop petit
Il y a toujours quelqu’un, quelque chose, quelque part à quoi se raccrocher ici
Pour ça il faut des bras solides
Des mains qui s’ouvrent et se referment
Tire, tire
La chance
Si tu la vois, si tu l’attrapes
Parle lui de mon frère, de moi, de nous tous, n’en n’oublie pas un seul
Dis-lui que nous sommes des milliers à l’attendre
Des milliers à l’attendre
Reviens, je t’attends
Il n’y a pas de fin mon frère, il n’y a que des mains que l’on tend
Par ivresse, un jour de fête, un jour de liesse
Il n’y a pas de fin mon frère, juste des mains que l’on tient
Et qu’on laisse
Vous Êtes Ici - Patrice de Bénédetti 2018
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